« Je n’aime point sentir que l’auteur que je lis fait un livre. Je veux imaginer qu’il cause avec moi »

(Lettre de madame Du Deffand à Voltaire)

« Un homme devrait connaître ses limites »

(Clint Eastwood)

 

L’homme entre deux âges, assis en face de moi dans le compartiment surchauffé,  me regarde méchamment depuis un bon bout de temps.

«  Dites, fait-il brusquement, ça ne vous dérange pas de m’écraser les pieds ? 

– excusez-moi, je n’avais pas fait attention », lui dis-je ;

 -Oui, vous pouvez vous excuser », répond-il ;

A mon tour de l’observer fixement.

Après un long moment, j’ajoute :

– Excusez-moi.

Et encore, plus bas :

– Excusez-moi. 

Puis, dans un murmure traînant :

…  Excusez-moi.

 « Ah, ça va bien, vous ne voulez pas en plus que je vous bénisse ? » me dit-il.

–  Parce que vous êtes habilité à me bénir, peut-être ?  dis-je,

– Parfaitement » réplique-t-il.

Préférant éviter tout esclandre, je choisis de me taire, et de faire semblant de dormir.

Ce n’est pas le moment de me faire remarquer.

J’ai l’impression que le réel se ligue se contre moi.

Je souris en mon for intérieur : ce type vient de me donner une idée d’introduction de chapitre pour mon roman en gestation.

Ce matin, j’ai quitté ma ville de province, sou un ciel bas et menaçant.

Le train doit m’amener à la Gare Montparnasse ; ensuite, c’est un long trajet en métro qui m’attend.

En chemin, je reçois un SMS de la Dominatrice   : «je vous attends   – révisez vos classiques »

Je réponds fiévreusement: « je n’en ai plus le temps, malheureusement »

Je suis possédé.

Haletant, je sonne à l’interphone à 11 heures 42 tapantes.

« Vous avez trois minutes d’avance, attendez dehors » me dit-elle froidement.

Tel un conspirateur, je fais les cent pas dans la courette, les yeux vissés à ma montre ; un type sort sa poubelle.  J’évite de croiser son regard. Je dois ressembler à un malfaiteur sur le point de  commettre un forfait prémédité.

Les minutes me paraissent des heures.

A 11 heures 45, Maîtresse Célia daigne enfin m’ouvrir. Je me précipite dans l’ascenseur.

J’entre et me déshabille sans presque un mot.

«  Vous êtes fou de laisser votre nom dans vos témoignages, sur mon site, Monsieur Pierre C., vous avez de la chance que je sois quelqu’un de scrupuleux, vous pourriez avoir des soucis avec votre profession très normée » me dit-elle

-Je suis un peu dans la provocation, un peu inconscient aussi » lui dis-je

Elle me détaille avec intérêt.

 « Vous faites de la natation ? » me demande-t-elle.

-Oh ! … ça alors, comment pouvez-vous le savoir ? En effet, je vais trois fois par semaine à la piscine depuis septembre».

Je la vois écarquiller les yeux  puis reculer, comme frappée  de stupeur devant cette révélation.

Est-ce une magicienne, une sorte de médium ? Je dois exhaler un halo de molécules chlorées… Je ne lui ai jamais fait part de cette pratique sportive  – j’ai vérifié par la suite si par inadvertance j’avais pu me trahir par mail…sans aucun résultat.

« Madame Célia Duport est-elle là ? »  demandai-je.

Pour toute réponse, Célia me passe le collier de chien, et me traîne au milieu de la pièce.

« A genoux » m’intime –t-elle

« Tu n’avais pas besoin de m’envoyer plusieurs fois ton petit scénario, en réalité, tu m’as objectivée, chosifiée » dit-elle, détachant chaque mot.

Voici le début du scénario  que je lui ai adressé :

La manageuse impitoyable

 

Célia Duport, redoutable femme d’affaires, s’est  imposée à la « force du poignet » dans un environnement très « macho ».

Après une journée de travail stressante, Célia Duport a convoqué à son luxueux appartement parisien Pierre C., jeune collaborateur fraîchement embauché dans son entreprise.

Le motif officiel de cette convocation un peu « spéciale » dans le cadre professionnel est le suivant : Pierre C., souhaitant obtenir de l’avancement, doit  être soumis à toute une batterie de questions de culture générale.

En réalité, et c’est la raison « officieuse » de cette convocation, Célia Duport va obliger le jeune homme timide à se dénuder , tandis qu’elle fera ses commentaires – élogieux ou non – sur le physique de celui-ci, avec une vulgarité qui le mettra mal à l’aise; Célia Duport sera habillée très sexy (bas noirs, escarpins à talons aiguille…), et va ainsi promener sa « badine » sur les différentes parties du corps de son jeune collaborateur. Un homme doit ressentir de la crainte en sa présence.

Notre ami va subir un véritable assaut de questions: à chaque réponse erronée, Pierre C. subira une fessée  et différents coups de martinet sur les parties, etc. dans un jeu pervers que Célia Duport appellera  la « Poursuite Triviale ».

– Vois-tu, me dit-elle brusquement, j’ai le sentiment que me traites en objet, tu n’as visiblement rien compris à la domination… ici, c’est moi qui décide… et puis, tu veux tout contrôler, ça ne me plaît pas. Tu écris en plus un roman sans ma permission, je ne veux plus que tu continues à écrire ces horreurs sur moi. Tu veux me contrôler, et  moi je veux au contraire t’apprendre le lâcher-prise.

En plus, tu m’as fait travailler, j’ai dû bosser pour préparer les questions. Et tu veux que je m’appelle Célia Duport… c’est quoi ce délire ? »

A genoux devant elle, je supplie : « je n’ai fait que suggérer ce scénario… je suis fasciné par la question du pouvoir. Et puis, si je vous ai fait travailler, ne m’en veuillez pas, il s’agit d’une simple déformation professionnelle  »

– Ah oui, tu me l’as bien suggéré trois fois par mail, et lourdement, ton scénario» persifle-t-elle

« Assez discuté maintenant, reste à genoux et mets-toi face au fauteuil ; mets ton postérieur bien en évidence »

A droite du fauteuil, j’aperçois une tablette sur laquelle Célia a disposé des bougies allumées…leur  chaleur inonde la pièce.

Je sens que ça va être ma fête, je vais « prendre cher »…

« Alors, tu veux de l’avancement dans la société, c’est ça ? » me demande-t-elle

« Oui, je suis prêt à tout pour gravir les échelons » dis-je

– On dit, « oui, Madame » m’ordonne-t-elle

– Oui, Madame » dis-je

– Alors, tu vas devoir répondre à un test de culture générale, auquel tout nouveau collaborateur est soumis ». Elle ajoute  « en cas de mauvaise réponse, tu auras droit à une correction »

– Mais,  Madame, vous me faites des propositions ! lui dis-je

– Pas encore, les propositions, ce sera  pour tout à l’heure ».

« Première question : de quelle manière est mort le pape Adrien IV en 1159 ? »

« Euh… » Jje réfléchis à toute allure.  «  Il est mort étouffé… »

« Comment ? Réponds »

–        Eh bien… il… il s’est étouffé avec une arête de poisson »

–        « Non ».

Je viens de recevoir une bonne claque sur les fesses, assénée du plat de la main.

–        « il a eu le hoquet ? »

–        « Non »

Une autre claque, plus douloureuse.

–        « Euh… il était avec une prostituée ? »

–        « Tu as tout faux »

Cette fois-ci, Célia, variant les plaisirs, s’est emparée d’une cravache de 60 centimètres…

Je redresse la tête et cabre les reins… j’essaye de ne pas défaillir.

J’ai soudain un flash : Jean-Jacques Rousseau rosissant de plaisir sous la main leste de Mademoiselle Lambercier. Ce n’est – hélas – pas mon cas à ce moment précis.

–         Aaah, la vache ! »  dis-je

–        « Tu n’as pas le droit de jurer » me dit-elle. Dis-donc, tu « marques »  bien aux  fesses !

« Deuxième question : « de quel Etat Montgomery est-elle la capitale ? »

–        de l’Alabama, Madame » dis-je sans hésiter, articulant difficilement ces mots;

–         Oui, c’est une bonne réponse ». Je sens toutefois une note de dépit dans sa voix.

–         Question suivante: Comment s’appelle le livre de la Bible où il est écrit « rien de nouveau sous le soleil ? »

–         L’Ecclésiaste, Madame » dis-je, c’était la lecture favorite de Mitterrand, je suis sûr que vous ne l’aimiez pas, n’est-ce-pas ? »

–         Bien, mais garde tes opinions politiques pour toi, tu ne connais pas les miennes ! » me dit-elle.

–         Quel objet est mis en évidence dans le film d’animation « Akira ? »

–         En fait, je connais très mal les mangas … » avouai-je piteusement

Un bruit mat résonne dans la pièce. Je constate à mes dépens que Célia manie le paddle (1) avec dextérité, et une amplitude de mouvement.  Mes fesses sont mises à dure épreuve.

– Si tu continues à répondre à côté, je te brûles avec les bougies » dit-elle

Un filet de sueur dégouline de mon aisselle droite jusqu’au sol.

Je suis en train de recevoir la « raclée » de ma vie.  Une première !

– Qui a écrit « les origines du totalitarisme » ? Il ne doit pas s’agir de ton domaine de prédilection…

–        Gunther Anders ? »

–        Non. »

–        Hannah Arendt ? »

–        Bonne réponse, mais trop tardive » me dit-elle, redoublant ses frappes.

Je me retiens d’ hurler de douleur et d’humiliation.

Enfin, la manageuse va harceler sexuellement et moralement son collaborateur : insultes, crachats, obligation de s’accroupir afin de  pratiquer un cunnilingus; après avoir passé un strap-on, elle va l’obliger à lui pratiquer une fellation humiliante, puis introduire délicatement le gode huilé dans le cul du jeune homme, en lui malaxant fesses, seins et sexe (elle se tient derrière lui bien entendu, et abuse du corps ainsi offert à ses envies), tout en lui pistonnant le postérieur. Rappelons que Pierre C. est vierge de ce côté-là, tant dans la vie réelle que fictive …

Bien entendu, elle va également lui demander de servir de repose-pieds pour ses jambes fatiguées, l’obliger à un léchage de jambes, pieds et un piétinement en règle, ce qui satisferait l’appétit de domination de cette femme avide de pouvoir.

Célia dispose d’une  « carte blanche » pour utiliser tous les « raffinements »  imaginables …

 (1) Paddle : batteur en bois, constitué d’un manche assez court avec lequel on porte les coups.

 

J’en ai vraiment plus qu’assez  à cet instant précis, et lui dis que j’ai envie de partir.

« Eh bien, vas-y si tu veux ! me répond-elle, surtout ne te gênes pas ! »

Après réflexion, je décide de rester. Autant mener cette expérience jusqu’au bout…

« Bon, tu as échoué au test de culture générale, voyons si tu as d’autres aptitudes, dit-elle ; va me chercher du café », m’ordonne-t-elle.

Les fesses en feu,  je prends le chemin de la cuisine.

La cafetière Nespresso se révèle rétive à mes efforts à lui faire cracher son jus.

La cafetière.

Bien sûr.

Je suis frappé d’une révélation soudaine.

Je prends le temps de contempler l’appareil.  Je la reconnais comme une compagne d’infortune : elle aussi connaît des difficultés éjaculatoires.

Je réussis enfin à lui soutirer sa mixture. What else ?

Je reviens avec une tasse pleine, que j’offre délicatement à la Maîtresse ;

« Allonge-toi  et ouvre la bouche» dit-elle

Je m’exécute aussitôt ; je la vois se placer debout au-dessus de moi  en contre-plongée ; elle avale quelques gorgées de café, qu’elle recrache avec beaucoup d’adresse dans ma bouche. J’avale ce nectar inespéré.

Puis, Célia me piétine avec ses escarpins munis de piquants. « Mais tu es douillet ! dit-elle, tu vas avoir des plaies purulentes sur tout le corps »

« Vous avez mis des éperons, Madame ? » demandai-je

–        C’est pour mieux te dompter, preux chevalier ».

Célia me passe ensuite un « kit » complet d’attaches aux poignets et aux chevilles.

La dominatrice me sangle, la poitrine,  les côtes collés  à une table de camping qu’elle vient de dresser, le postérieur bien en évidence,  les jambes pendantes de chaque côté ; j’arrive tout juste à toucher le sol du bout des pieds.

J’essaye de me décontracter au maximum, sachant ce qui m’attend …

Je la vois mettre un strap-on et me présenter son « sexe » dressé devant la bouche ; je «décide de « jouer le jeu » et lèche le morceau de plastique.

« Tu sais que je vais faire venir tous les collaborateurs qui vont te voir dans cette position » dit-elle « ils vont bien rigoler »

Je fais « non » de la tête, ne pouvant proférer un mot.

J’aperçois Célia qui met un gant de plastique et l’humecte de vaseline ; je sens ses doigts qui me « préparent » pour la suite.

La bouche enfin libre, j’hurle : « mais c’est du harcèlement ! »

–        Ah oui, je te conseille d’aller voir les flics, ils vont bien se foutre de ta gueule ! » dit-elle

San rien ajouter, Célia  me fourre le strap-on dans le postérieur et me pistonne allègrement. J’avoue ne plus trop savoir où je suis…

A un moment donné, je sens le faux sexe sortir de mon cul ; « tu dois me dire quand je ne suis plus dans ton trou ! dit Célia ; « c’est drôle, tu en as peut-être deux ! »

Enfin, après un  long moment, Célia  daigne enfin me libérer.

Pantelant, je dois m’agenouiller devant Célia ; elle s’assied dans son sofa, face à moi; elle attire mon  visage contre sa culotte noire, et m’intime l’ordre de la lécher.

J’obéis avec délice, et sens bientôt son clitoris qui se dresse, là  tout en haut des lèvres.

Cette mission accomplie, Célia me branle de ses doigts experts.

Je suis prêt pour ma dernière leçon.

« Tu vois, me dit-elle, ton scénario ne fonctionne pas, tu es d’ailleurs totalement inhibé.  Il ne faut pas vouloir maîtriser une séance de domination comme tu l’as fait, et puis je ne suis pas une machine.  Je ne sais pas pourquoi tu viens ici, peut-être que je te plais, peut-être que tu veux m’utiliser dans ton roman…»

–        Je ne vous ai jamais pris pour une machine », dis-je ; vous voyez bien que je suis bloqué, je communique seulement de manière indirecte »

Voyant que ma bite ne « décolle » pas, Célia attache un bandeau noir sur mes yeux.

 Je suis désorienté.

-Voilà, dit-elle, j’aime bien sentir qu’elle est en train de durcir dans ma main, elle est encore un peu molle, j’aime ça »

Je consens enfin à m’abandonner  à ses caresses.

« Vous savez, lui dis-je, j’ai pris beaucoup de plaisir à vous lécher » dis-je, avant d’ajouter : « j’ai peur de vieillir, vous voyez bien que je me présente toujours en jeune homme dans mes scénarii… »

-Oui, c’est ça, continue, dit-elle, il faut que tu me donnes ton jus maintenant, tu sais que j’aime bien quand on me résiste ; au-delà de l’argent, de l’aspect économique rétribuant  ma prestation, je veux que tu lâches prise. Donne-moi ton jus ».

-Oui, je veux donner…  donner maintenant …DONNER…  je veux donner du plaisir… »

Devant mes yeux aveuglés, passe une vision : une prêtresse drapée de blanc, face à une troupe de guerriers bardés de bronze… et une longue incantation, dans une langue que je ne comprends pas.

D’un seul coup, la jouissance me submerge.  Comme un cheval mort, je m’écroule  entre les bras de Célia.  J’embrasse ses bras, ses seins.   Dans ma chute,  j’ai fait valdinguer ses lunettes.

« Excusez-moi… je suis désolé… »  dis-je en les ramassant à l’aveuglette.

Un long moment plus tard, je reprends mes esprits, assis nu sur le sofa à côté de Célia.

Elle m’a fait du café, me regarde avec douceur, derrière ses longs cils.

Nous trinquons comme de vieilles connaissances. Elle effleure ma cuisse de la main.

 « Je suis très contente, me dit-elle, vous avez enfin pu lâcher prise…  J’ai eu l’impression d’être manipulée, vous savez, beaucoup d’hommes se font une représentation bien à eux de la séance, une représentation souvent très imagée.  Je ne fonctionne pas ainsi »

-Oui, lui dis-je,  il ne faut pas m’en vouloir ;  dans mon roman, le notaire va essayer de tirer profit de son expérience avec la dominatrice.  C’est quelqu’un qui veut tout rentabiliser, d’ailleurs cela va se retourner contre lui ».

-Mais c’est vous que vous venez de décrire ! me dit-elle

– Les personnages de roman ont une vie  propre, qui échappe parfois à leur auteur. Ne faut-il pas les laisser s’exprimer ? lui dis-je ; dans une scène- clé  du roman, le « héros » va ainsi tomber à genoux devant sa Maîtresse –  là dans cette pièce –  les bras grands ouverts, et s’exclamer : « donnez-moi le Pouvoir, je vous en supplie… le Pouvoir Littéraire» ;  en effet, dans le récit, la Dominatrice dispose de la faculté d’exacerber les talents cachés de ses clients, comme celui du modeste tennisman qui va battre le numéro un mondial… c’est raconté un peu à la manière de Stephen King , sans fausse modestie.

-C’est une bonne idée de départ, mais je doute que vous vendiez ce genre d’histoire … beaucoup de gens veulent écrire, peu réussissent comme Amélie Nothomb…

– Je n’ai bien entendu pas cette prétention » ajoutai-je.

– La séance a duré beaucoup plus de temps que prévu, comme vous vous en êtes rendu compte, dit-elle ; maintenant, filez ! J’ai un autre rendez-vous ; et réfléchissez bien : je ne veux faire que du bien, qu’il ne reste que du  positif. Et puis, il ne faut pas avoir peur de vieillir, de la mort ; nous sommes seulement de passage ».

Elle m’aide gentiment à me rhabiller.

Dehors, ce sont à nouveau les bruits de la rue.